Agir pour une architecture ouverte et démocratique

Cette attaque face à la liberté architecturale et de création n’est pas anodine. Cette mesure vise tout particulièrement un pan architectural, celui lié au brutalisme et aux aspirations modernistes de la seconde partie du XXème siècle. Elle vise des réalisations architecturales telles que l’hôtel de ville de Boston, réalisé par Kallmann McKinnell & Knowles en 1969, au sein d’une ville symbole de la démocratie américaine et bastion démocrate depuis toujours.

L’architecture devient alors, pour le pire, un outil politique visant à promouvoir une identité nationaliste extrémiste jusque dans l’expression même du bâti, rejetant les apports sociaux et sociétaux des progrès architecturaux du siècle passé.

Au plus près de nous, le modernisme et la diversité architecturale est aussi remise en question. En Allemagne, à l’approche des élections législatives du 23 février prochain, l’architecture est devenue malgré elle un argument de campagne pour le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD). Depuis quelques mois, ce mouvement s’en prend vertement et violement à l’héritage du Bauhaus, courant architectural alors qualifié par le régime nazi « d’art dégénéré ».

Ce retour à des formes rigides et à une forme de conservatisme architectural témoigne d’une volonté de contrôle, d’un refus de la diversité architecturale et, par extension, d’une uniformisation des modes de pensées. Ce rejet du "less is more" illustre une nostalgie autoritaire, une tentative d’effacer la mémoire des avancées architecturales et artistiques du XXe siècle.

L’histoire a pourtant montré comment des régimes totalitaires ont utilisé l’architecture pour imposer leur idéologie, effaçant les évolutions artistiques et les courants progressistes. En imposant un style figé, Donald Trump rejette l’évolution des formes, des courants et des sensibilités qui ont marqué l’histoire de l’architecture, ainsi que l’apport de l’architecture pour établir une société plus juste et respectueuse du vivre-ensemble.

Notre engagement vise, inlassablement, à affirmer que l’architecture n’est pas qu’un simple agencement de formes et de matières. Elle structure notre regard et notre perception du monde. Elle influence nos modes de vie, notre manière d’habiter et de coexister.

L’architecture est avant tout démocratique : elle est libre et s’inscrit dans une dynamique d’émancipation, offrant des espaces qui favorisent l’échange, la fluidité et la diversité. Elle est un outil d’inclusion, de progrès et de transformation sociale. Elle ne doit pas devenir un instrument d’oppression.

L’architecture vivante et en mouvement doit épouser le présent, s’inscrire dans son époque et anticiper l’avenir. Elle doit s’adapter aux défis écologiques, aux nouvelles manières d’habiter et à la nécessité d’une société inclusive. Se fondre dans le vivant, c’est refuser l’immobilisme. C’est penser une architecture qui dialogue avec son environnement, qui s’ouvre aux mutations de la société et qui refuse d’être un outil de pouvoir régressif.

Loin d’un simple exercice de style, l’architecture est donc un acte politique, un engagement envers le monde et ses transformations. Notre devoir nous oblige collectivement à rester vigilant à ce que l’architecture ne devienne pas un acte autocratique.

 Laurence Bertaud, Présidente du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France

Photo de couverture : © Charles Viansson / Les Choux à Créteil, construits par l'architecte Gérard Grandval